Oonagh
regarda par la fenêtre. Le soleil couchant donnait une teinte rouge sang au
paysage urbain qui s’étendait devant ses yeux. Une couleur tout à fait
d’actualité, pensa-t-elle, ou qui le sera bientôt. Plus que quelques instants,
et elle pourrait répondre à l’appel reçu un peu plus tôt dans la journée. Elle
joua un instant avec la griffe de dragon en argent, se demandant si elle lui
donnerait le talisman. Puis elle soupira. Ceux de sa Famille ne supportaient
pas l’argent, c’était vrai. Même au bout de 800 ans, retenir les
caractéristiques de chaque Famille vampire était, comment dire, un peu
compliqué.
Elle jeta un
dernier coup d’œil par la fenêtre, pour voir le soleil embraser une dernière
fois le ciel de Fantasya avant de disparaître, et souri. Les prochains jours
risquaient de devenir mouvementés.
Elle se
dirigea vers l’immense miroir qui servait de décor dans le salon. Un peu
classique comme moyen de liaison, mais elle préférait éviter les moyens
officiels, pour l’instant. Elle fixa son reflet, puis se concentra sur la
personne à faire apparaître. Elle tendit la main ver le reflet, et…
« God kväll. Hur står det till ?
lança-t-elle au type qui venait d’apparaitre, en chair et en os, cette fois,
devant elle.
- Pas trop mal pour quelqu’un qui vient de
voyager entre des mondes de façon… imprévu. J’admire votre art de la réponse,
Moriannig
[1].
-
Jolies mèches, entre nous. Vous avez appelé, je réponds, la règle est
simple. Mais, je déteste être dérangée pour rien, vous le savez. Et je
détesterais avoir dû, comment dire, faire un petit écart légal pour rien, en
usant le miroir pour vous faire venir ici. Oh, tant que j’y suis, bienvenu à
Fantasya, cher Eric.
- Un écart légal ? Je ne crois pas
que ce soit ce qui vous dérange. Mais je ne pense pas vous avoir dérangé pour
rien. Il se trouve…
Le vampire
[2] fut interrompu dans sa tentative d’explication
par une porte ouverte à la volée, et l’irruption d’un jeune homme. Enfin, d’un
homme ayant l’apparence d’un jeune homme, on ne savait jamais avec les
Immortels. Qui n’avait pas l’air franchement accueillant, à en juger par l’épée
qu’il brandissait.
« Bonté divine, John, l’apostropha sa
sœur, dans ce qu’Eric reconnut comme un mélange d’anglais et de gaélic
[3] tu te
crois dans un roman pour débarquer comme ça ! Range cette épée, tu
pourrais blesser quelqu’un, toi le premier !
Le susnommé John se passa une main sur le
visage, l’air passablement épuisé, regarda Eric, puis sa sœur, soupira.
« J’aurais dû m’en douter. Forcément,
cela ne pouvait être que toi.
L’épée passa en un mouvement dans son dos,
comme disparue.
« Tu as sans doute une bonne raison,
je suppose, pour utiliser les portails, même familiaux, sans prévenir. Oh,
j’oubliais, les moriannigs n’ont de compte à rendre à personne.
- Si, à la Dame et à la Mort, bien sûr. Tu
oublies tes fondamentaux, mon cher frère. Il se trouve que notre ami Eric, ici
présent, a requis mon aide. Et tu connais les moyens « officiels ».
De la paperasse, du temps perdu et puis question discrétion, ce n’est pas
toujours l’idéal, pas vrai. Je suis désolée d’avoir perturbé ton champs
psychique, mon chéri, mais j’aime la
discrétion. Et ce n’est pas de ma faute si tu es… tellement « flic »,
des fois.
John regarda sa sœur. Parfois, il avait
envie de faire sauter cette jolie tête de ces épaules. Parfois, avant de se
souvenir que sa sœur aînée était une adversaire bien trop coriace. Il s’avança
devant le miroir et le scella.
« Et si vous nous expliquiez la
raison de votre présence, Mr Northman ?
- John, voyons, mes affaires ne te…
- Comme tu l’a fais gentiment remarqué je
suis flic, en esprit et en fonction. Et vous Eric, n’êtes pas ici vraiment
légalement. La moindre des choses, même si je ferme les yeux, c’est de me
mettre au courant.
Eric observait le frère et la sœur. Oonagh
eu un mouvement d’épaule, comme pour signifier qu’en ce qui la concernait, il
pouvait y aller.
« Disons que je suis ici pour une
raison, assez spéciale…
- … qui fait intervenir une moriannig, donc
Fantasya, donc quelque chose d’assez compliqué et étrange pour que vous ne
compreniez pas d’où ça vient. Et pourtant, par chez vous le compliqué et
l’étrange, vous connaissez. Je suppose que cela ne concerne ni les loups-garou,
ni les vampires, ni des sorcières ou des ménades, ou encore vaguement du vaudou
ou de la simple possession spirituelle. Don, allons directement aux faits.
Après un bref temps de surprise, Eric
sourit.
« Vous êtes assez direct, une
caractéristique familiale, je vois. Il y
des évènements étranges qui effectivement ne concerne rien de connu par
chez moi, et qui surtout ne semble pas dans leur, comment dire, éléments. J’ai
conclu, il y longtemps, un pacte avec votre sœur. Et j’ai besoin de son aide.
-
Un pacte avec ma sœur ? Vous deviez être sacrément dans la merde. Et vous devez vraiment faire
face à quelque chose, si vous demandez son aide. En général, les pactes avec
elle, on essaie de s’en débarrasser, pas d’ajouter des frais.
Oonagh leva les épaules, signifiant que les attaques de son frère ne
la touchaient guère.
Eric exposa les faits, visiblement peu
surpris par la relation entre les deux immortels.
« il existe en effet quelques petits
problème dans ma communauté actuelle, mais que je qualifierais de mineurs. En
particulier un trafique de vampires, dirions-nous. Certains semblent penser à
nous comme des proies.
- Plaisant
retournement de situation, je dirais. Mais vous n’avez rien de la
paisible brebis,je me trompe ?
- Je vois, rien ne vous échappe, ici.
Toutefois, au-delà de ces extravagances, des événements semblent venir
d’ailleurs. Cela ne correspond pas au schéma de simples trafiquants, des
expériences sont menées. Des choses apparaissent, comme si d’autres forces que
celles auxquelles nous sommes habitués sont en jeu. Des forces qui me ramènent
ici. Du moins, je le pense. On fait état de disparition inexpliquée, de
cadavres retrouvés mutilés, vidés de leur sang sans commune mesure avec des
actions de mes semblables. D’ombres dans le bayou, de choses de forme humaine…
- La goutte de sang qui fait déborder le
calice, quoi, lança John.
Onnagh secoua la tête. Pitoyable.
[1] Pour des raisons évidentes, la suite des
dialogues en suédois ne sera pas en suédois. Bon, je vous signalerais
évidemment quand on parle une autre langue dans le texte. Enfin, une que je ne
sais pas écrire… ni même parler, à bien y réfléchir…
[2]Oui, bon, forcément, dès le coup des mèches, vous l’aviez reconnu…
[3]Non, je ne parle pas non plus le gaélic