"Plus humain que l'humain" est le slogan de la Tyrell Corporation, la société qui règne en maître sur le Los Angeles de 2019 (plus que 14 ans !), du haut de son gratte-ciel monolithique et pyramidal.
On ne dira jamais assez combien le scénario, inspiré d’une nouvelle de Philip K Dick ("Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques"), est juste et brillant et combien la mise en forme et en scène de Ridley Scott visionnaire. Les décors n'ont rien à envier aux meilleurs effets numériques d'aujourd'hui et c'est finalement la bande on de Vangelis qui a le plus mal vieilli dans ce qui s'avère être un des plus grands moments du cinéma de SF (encore que le générique de fin est « immortel »).
Et Scott, dont c’est le retour à la science-fiction (il avait réalisé 3 ans plutôt, en 1979, le premier volet de la saga d'Alien), sait jouer avec les lumières stroboscopiques en clair-obscur de sa ville du futur, les faisceaux lumineux qui percent au travers des orifices sont les espoirs d’une échappatoires, les néons bleus, ocres ou bruns électrisent un ensemble qui est l’improbable rencontre du film noir et u film de SF. Tout au long de ces prises de vue éclairées on ressent parfaitement que la mégalopole cosmopolite et dépravée qu'est devenue Los Angeles n'est plus que le refuge de la misère du monde alors que les bons américains sont partis sous des horizons plus joyeux (même si on peut se demander où ). Non, la Californie n'est plus cet Eldorado dont on vantait jadis les mérites sur des affiches par quatre sur trois. Le Tiers monde est venu s'y réfugier et on confie les sales boulots à des simili humains – espèces de cyborgs organiques - qu'on espère dociles ("utiles ou dangereux" nous dit Deckard) ou à des chasseurs de têtes losers - dont rien ne prouve d'ailleurs qu'ils ne sont pas eux-mêmes répliquants... Le doute est partout dans un monde de faux semblants. De l’Amérique siliconée et colagénée, nous sommes dans le siècle du tout cloné (c’est visionnaire tout de même, le film datant de 1979), y compris des animaux « terrestres » qui se sont définitivement éteints!
Mais au milieu des bas-fonds miséreux certains répliquants aspirent à devenir les nouveaux Pinocchio ; un parallèle que ne manque pas de souligner Scott dans l'appartement de Sebastian et ses automates. Ils cherchent une fée "humanité" pour leur donner le droit de vivre à égalité avec leur créateur, Tyrell, véritable baron Frankenstein reclus dans sa tour d'ivoire. La très belle mise en scène de la lutte de finale de Roy pour la vie tout en s'affranchissant des contraintes physiques (les murs décrépis de l'hôtel Bradbury - oh ! la belle référence à Ray !). Peoples, le scénariste, glisse une note un peu de pessimiste tout de même en arrière plan qui semble nous souffler que la mort est un terme à l'existence puisque même la mémoire peut être flouée : dans ce futur on implante de faux souvenirs :
I've seen things...
(long pause)
seen things you little people
wouldn't believe... Attack ships
on fire off the shoulder of Orion
bright as magnesium... I rode on
the back decks of a blinker and
watched c-beams glitter in the dark
near the Tanhauser Gate.
(pause)
all those moments... they'll be gone.
Ajoutons, à ces nombreux louanges, une interprétation d'excellente qualité qui, outre Harrison Ford (qui s’est pourtant très mal entendu avec Scott, paraît-il) véritable icône descendue du Faucon Millenium, offre à Rutger Hauer un rôle à sa démesure, d’une beauté que seule la sculpture classique saurait figer !
Malgré un accueil mitigé lors de sa sortie en salle, Blade Runner est devenu, au fil des années, une référence incontournable du cinéma de science-fiction, une véritable réussite visuelle et esthétique dont on retrouve les traces dans de nombreuses créations aussi diverses et variées que Ghost in the Shell, Dark City, Gattaca...
Bounty hunter, non, blade Runner !
N.